Comment repeindre votre bateau en pensant qu'il va aller plus vite

1. Le mirage du changement visible

J’étais en réunion chez un client, une PME industrielle un peu ancienne : 1400 salariés, 70 ans d’existence, très fière de son histoire (et de son joli logo en relief ). Le DG m’accueille. Je dois donner une conférence à son board international. Le thème est la transformation digitale et la modernisation de la stratégie.

Après la conférence, je bois un verre avec le DG qui m'annonce, très enthousiaste.

“On a entamé notre transformation digitale ! C’est un voyage très excitant !"

Je hoche la tête. “Super. Racontez-moi.”

Il me montre leur nouveau site web.

Épuré, responsive, avec une vidéo d'un camion qui avance vers un entrepot au ralenti.

Puis il m’explique qu’ils ont lancé une page LinkedIn et une newsletter.

Il m'annonce ensuite qu'il a un enjeu très important. Son entreprise produit des téraoctets de données B to B chaque année, et il lui faut un expert pour les traiter et voir ce qu'elles contiennent.

Je lui explique qu'il faut quelqu'un pour plusieurs taches. Reconfigurer les données (car elles sont toutes sur des formats différents). Structurer les données, pour les rendre analysables. Analyser méthodiquement pour rendre lisibles les patterns sous-jacent. Et enfin formuler des préconisations business sur les bases de l'analyse.

Certes, c'est schématique, mais c'est un métier.

Et je le vois très heureux: "Oui, c'est cela qu'il nous faut ! Combien ?"

Et je lui donne les salaires moyens pour un data scientist expérimenté et/ou un data analyst qui tient la route.

Et sa réponse est claire: "je ne vais pas payer un analyste plus cher que ma directrice marketing" (qui était auparavant l'assistante marketing, avant que la directive ne parte).

Je reste poli. Mais dans ma tête, j’entends juste : “On a repeint les murs de la vieille maison et on pense qu’elle est antisismique.”

 

 2. Ce que j’appelle une “modernisation flasque”

C’est simple : C’est un changement esthétique, sans impact structurel sur les processus et la création de valeur.

C’est refaire le site sans revoir l’expérience client.

C’est poster sur LinkedIn sans réorganiser le cycle de vente.

C'est lancer une stratégie de contenus, en pensant "contenus" sans penser "stratégie".

C'est mettre le moins d'argent possible dans les recrutement, car avoir des gens compétents n'est pas si important du moment qu'on peut annoncer qu'on recrute.

C'est fait "comme si", sans faire vraiment.

C’est dire “on fait de l’IA” parce qu’on a installé ChatGPT sur Slack.

Bref, c’est croire qu’un lifting est une cure de jouvence.

 

3. Pourquoi on tombe dans ce piège ?

Les entreprises de toutes tailles tombent dans cet "immobilisme dans le mouvement".

Parce que c’est facile. Visible. Et valorisant auprès d'un board.

Quand un DG annonce "on a revu toute notre stratégie de communication", les membres d'un board qui n'y connaissent rien peuvent être séduits.

La “modernisation dure” — celle qui change la manière de réfléchir, de vendre, de produire — elle fait peur.

Elle demande de l’introspection.

Du courage.

Elle implique parfois de dire : “On ne sait pas faire.”

Elle est chère à vendre, elle nécessite de la douleur, des efforts, et parfois des larmes.

Et dans beaucoup d’organisations, l’ego coûte plus cher que l’innovation.

 

 4. Exemple 2 : La transformation courageuse

À l’inverse, j’ai bossé avec une ETI du secteur logistique.

Plutôt que de refaire leur site, le CEO a commencé par poser cette question à ses équipes : “Pourquoi est-ce que certains clients hésitent à bosser avec nous aujourd’hui ?”

La réponse ne lui a pas plu, alors il a lancé un programme de formation massif pour toutes ses équipes.

Et l'effet a été radical.

Ils ont ensuite revu leur stratégie de contenus. Ensuite.

 

 5. La vraie modernisation est invisible au début

Quand elle est bien faite, la transformation commence dans la tête, pas dans la charte graphique.

Elle touche les outils, certes.

Mais surtout la culture, les habitudes, les métriques, les réunions, les recrutements.

Et c’est pour ça que les vrais leaders, eux, ne s’extasient pas devant la nouvelle typographie.

Ils se demandent : “Ce qu’on fait aujourd’hui… Est-ce que ça nous rapproche de notre futur ? Ou est-ce qu’on se rassure juste ?”

 

Conclusion : De la peinture ou une structure ?

Je le dis souvent en conférence : “La clé de tout ne tient pas dans votre offre, mais dans la compréhension fine des comportements de vos clients et prospects. Cela implique qu'un rebranding sans re-positionnement, c’est du marketing de surface. C’est comme essayer de transformer une 2cv en Ferrari, et espérer qu’elle fasse le 0–100 en 3 secondes.”

J'en parle ici par exemple.

Alors oui, c’est bien d’avoir un beau logo.

Mais c’est mieux d’avoir une stratégie qui transforme, pas juste qui décore.

Une bonne stratégie est une stratégie bien exécutée.