Les éléphants ne savent pas sauter
Il y a quelques mois, j’ai donné une conférence dans une entreprise de biotech, sur la customer centricity, à la demande de la direction et du CTO.
Au moment des questions, une personne dans le public me demande pourquoi l’objet de la conférence était la customer centricity alors que cette entreprise faisait de la tech en B to B.
Et dans le coin de la salle, je vois le CTO se prendre la tête dans les mains. Littéralement.
1. Le paradoxe de la technologie sans usage
La stratégie est intimement liée à la technologie, mais pas à la technologie en tant que telle.
C’est la technologie sous l’angle de l’usage : comment les gens vont utiliser cette technologie.
La technologie permet de proposer de nouveaux produits et services.
Mais qu'est-ce qu'ils vont changer dans la vie des gens ?
Est-ce qu'ils vont s'en emparer ?
Est-ce qu'ils vont l'intégrer, à leur vie quotidienne ou à la vie professionnelle ?
Est-ce qu'ils vont les aimer… ou les ignorer.
Et cet enjeu a toujours été déterminant.
Kodak a inventé les capteurs numériques, mais a choisi de ne rien en faire. Un cas d’école pour tous les étudiants en stratégie que j'illustre dans cette vidéo.
Google a inventé les transformers en 2017, ces modèles d’IA générative qui révolutionnent tout. Mais ils ont regardé Microsoft, OpenAI et Anthropic leur passer devant, comme des enfants qui regardent un train partir, en se disant qu'en courant vite ils pourront le rattraper.
Il y a comme un pattern.
Celui de la technologie pour la technologie, sans penser usages.
Et sans la traduction de ces usages dans la stratégie de l'entreprise.
2. Quand l’éléphant a peur de danser
Les grandes entreprises ont souvent plus de mal à adapter leur stratégie.
Pourquoi ? Parce que le risque et les pertes potentielles sont beaucoup plus importants pour elles en cas de pivot stratégique.
Kodak n’a pas osé changer. Ils avaient peur de perdre leur empire argentique, alors ils ont perdu le reste.
Google essaie de changer. Mais plus l’organisation est massive, plus chaque mouvement devient douloureux, plus chaque décision devient une bataille interne.
La raison en est simple.
Google est une plateforme publicitaire B to B qui utilise le search pour vectoriser ses offres.
Tout comme Facebook est une plateforme publicitaire utilisant un réseau social pour diffuser les annonces de ses clients.
Chaque décision de ces entreprises vise à maximiser les revenus publicitaires. Chaque action qui n'est pas de cet ordre peut avoir comme effet de baisser ces revenus.
Ce qui fait que ces entreprises sont comme des paquebots qui ont besoin de 30 km pour tourner.
Là où la petite startup peut pivoter comme un canot à moteur, le paquebot est inertiel.
Et si ce paquebot se dirige droit sur un iceberg, la vitesse de manœuvre devient cruciale.
3. Ne pas confondre technologie et stratégie
Les exemples comme Kodak ou Google montrent que l’innovation technique sans une stratégie claire et orientée client reste une performance de cirque.
C’est un numéro de magie où l’on s’émerveille de l’innovation sans jamais se demander si quelqu’un a vraiment besoin de ce tour. Un défilé où les ingénieurs sont des stars, mais où les clients restent des figurants.
Parce qu’au fond, la vraie question, c’est : “Est-ce que cette technologie change vraiment quelque chose pour vos clients ?”
Est-ce qu’elle simplifie leur vie ? Résout un problème ? Répond à un besoin qu’ils avaient sans même le savoir ?
Parce qu’au final, une innovation non adoptée, c’est juste une invention morte. Une prouesse technique plantée comme une statue dans un désert. Un trophée sans impact.
Car une innovation, c'est une invention qui rencontre un marché, et qui satisfait donc des usages.
Une invention sans usages, c'est juste une prouesse technologique.
Une prouesse, c'est formidable. Mais qu'elle est l'utilité si les gens ne s'en emparent pas ?
Mais pourquoi la customer centricity devrait-elle vous faire peur ?
La customer centricity, ce n’est pas une campagne marketing. Ce n’est pas une charte graphique avec des sourires.
C’est une question décisive : "Est-ce que ce que l’on fait change vraiment quelque chose pour nos clients ?”
Et cette question fait peur. Parce qu’y répondre honnêtement, c’est souvent admettre qu’on a beaucoup de boulot.
Mais c’est la seule route vers une vraie transformation.
N'ayez pas peur de mettre votre client au cœur de tout !