Ce n'est pas Google qui a tué Wish

Ma belle-sœur était une accro à Wish. Elle commandait régulièrement des produits, passait son temps à scroller et à chercher des trésors.

Des trésors, cela voulait dire des produits formidables à des prix très bas. Des prix très bas, certes, il y en avait à foison. Mais des produits formidables, nous pourrions tous chercher, encore et encore.

Et cela a duré jusqu'au coup de tonnerre.

Le 24 novembre 2021, la DGCCRF obtient le déréférencement de Wish par Google.

Et ce qui se produit en France arrive dans de nombreux autres pays.

Alors comment une entreprise qui commercialisait une des applications les plus téléchargées au monde a pu s'effondrer ainsi ?

Comment une entreprise d'une rentabilité folle, Wish était valorisé à plus de 11 milliards de dollars en 2020, peut avoir été démantelé et vendu pour 173 millions seulement 4 ans plus tard ?

Autopsions ensemble la défaillance de Wish (2010-2025)

15 ans sur des montagnes russes

En 2010, Piotr Szulczewski, un ancien ingénieur de Google, fonde ContextLogic qui était une entreprise spécialisée dans le e-commerce.

L'entreprise amorce un pivot décisif vers une application mobile baptisée "Wish" qui devient l'une des premières marketplace mondiale.

Le concept est aussi simple que percutant : offrir aux consommateurs occidentaux un accès direct à des produits chinois à très bas prix, essentiellement via une interface mobile.

Wish s'appuie dès le départ sur une expérience gamifiée et un marketing agressif, propulsé par le ciblage publicitaire ultra-efficace de Facebook. En effet, dès le début, Wish est Facebook dépendant. 90% du trafic entrant de Wish provient des ads Facebook.

Cette recette lui permet de connaître une croissance fulgurante. Entre 2013 et 2020, l’application devient un véritable phénomène, cumulant plus de 107 millions d’Utilisateurs Actifs Mensuels (MAU) à son pic.

La valorisation atteint 11,2 milliards de dollars, consacrant Wish comme une des licornes les plus brillantes de l’époque, et l'un des sites mondiaux les plus visités.

Mais dans les faits la situation n'est pas si radieuse.

En effet, le prime de Wish est atteint en décembre 2020, lors de son entrée au Nasdaq.

Introduite à 24 dollars l'action, la société est alors valorisée à 17 milliards de dollars et lève 1,1 milliard de dollars.

C'est l'accomplissement d'un modèle jusqu'ici triomphant, fondé sur une domination par les coûts (un coût utilisateur ultra-compétitif), le volume, la pub. Mais en fait, malgré la valorisation record, des fissures apparaissent déjà dans le business modèle, comme la très faible conversion organique, et la faible satisfaction des clients.

Et ces failles profondes vont être décisives.

L'année 2021 marque le début de la désintégration du modèle Wish.

En avril, Apple introduit l'App Tracking Transparency (ATT), une mesure qui réduit drastiquement les capacités de ciblage publicitaire sur iOS. Pour une entreprise dépendant à 90 % des publicités Meta, c'est un coup de massue : les coûts d’acquisition d’utilisateurs explosent, et la rentabilité marginale se voit réduite.

Conséquence directe : la base d’utilisateurs chute à 60 millions de MAU au deuxième trimestre 2021, ce qui affecte considérablement la valorisation, qui était déjà surestimée.

Et en novembre 2021, c'est le coup de tonnerre: la DGCCRF ( Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ) fait déréférencer Wish par Google en raison de la présence d’articles potentiellement dangereux sur la marketplace. Il s'agissait tout d'abord de jeux et jouets, puis de nombreux autres produits par la suite.

Le coup est terrible, Wish ne s'en remettra pas.

Les années suivantes confirment le déclin. Le bannissement français n'est levé qu'en mars 2023, mais le mal est fait. La qualité douteuse des produits et les problèmes de sécurité ont érodé la confiance des consommateurs.

Les finances plongent : le chiffre d'affaires trimestriel passe de 123 millions de dollars au T4 2022 à 53 millions de dollars au T4 2023, soit une baisse de 57 %. L’engagement s’effondre également, avec seulement 12 millions de MAU fin 2023. Une goutte d'eau par rapport au volume de trafic juste 2 ans plus tôt.

Le coup de grâce arrive en 2024. Le 12 février 2024, ContextLogic annonce la vente de Wish à Qoo10 pour 173 millions de dollars. Ce montant représente une dépréciation de plus de 99 % par rapport à la valorisation maximale de 2020. L’opération est finalisée le 19 avril : Wish n’est plus qu’un actif secondaire dans un portefeuille asiatique.

Les activités sont splittées, la marketplace n'est plus que l'ombre d'elle-même. Et même si la marque existe encore, oui c'est un démantèlement.

Cependant, ContextLogic conserve un actif singulier : près de 2,7 milliards de dollars de pertes fiscales reportables (NOLs). L’entreprise devient une "coquille" cotée, en quête d’une fusion ou d’une transformation en SPAC inversé.

En 2025, le site Wish existe toujours, mais sous pavillon Qoo10. Le trafic est modeste, sans commune mesure avec les années fastes. La marque survit, mais elle a perdu son aura.

Autopsie d'un échec

Plusieurs facteurs ont convergé pour provoquer la chute de Wish :

1. Dépendance publicitaire excessive : 90% du trafic entrant de Wish provenait de la publicité sur Facebook. Et même si Wish a tenté d'aller vers un modèle de conversions plus organique dans ses 2 dernières années, la dépendance du business modèle à la publicité était absolue. Si à cela s'ajoute l’ATT d’Apple qui a supprimé un accès essentiel au ciblage, l'acquisition clients était tellement déséquilibrée et dépendante d'autres plateformes que la catastrophe ne pouvait qu'arriver, un jour ou l'autre.
 

2. Qualité des produits et régulation : La qualité des produits était très médiocre (je le dis à plusieurs reprises dans la vidéo). Les contrefaçons côtoyaient les articles dangereux. Les sanctions de la DGCCRF ne pouvaient que tomber à un moment ou à un autre (et ce fut aussi le cas dans d'autres pays). Et lorsque cela est arrivé, la confiance a été irrémédiablement perdue.
 

3. Expérience utilisateur médiocre : délais de livraison interminables, service client minimal, erreurs de commande. Quand on ne tient pas compte du comportement des clients, d'autres entreprises le font.
 

4. Concurrence accrue : Temu, Shein, AliExpress, Amazon... autant de plateformes plus agiles ou mieux capitalisées qui ont construit leur expérience client sur les échecs de Wish.
 

5. Instabilité de gouvernance : départs en chaîne, coupes drastiques, restructurations déstabilisantes. Une stratégie défaillante, pas de réel focus, la domination par les coûts présente des limites que Wish a atteint très rapidement.

Wish s’est développée plus vite qu’elle n’a construit la confiance.

Dépendante d’un marketing ultra-ciblé propulsé par une ultra-dépendance à la publicité, avec un catalogue incontrôlé et une expérience client négligée, elle était vulnérable.

Lorsque la réglementation, la protection des données et la concurrence ont resserré l’étau, le modèle s’est effondré.

Wish est le formidable reflet d'une époque, mais aussi un enseignement.

Le marketing est un moyen remarquablement efficace de générer de l'audience et trouver des clients.

Mais au bout du bout, il faut que l'offre soit à la hauteur.

Le paid media est loin d'être la solution à tout, et le respect et la compréhension de l'audience ne sont pas un luxe, mais le moteur d'un business model de qualité.